mercredi 16 février 2011

AUZEVILLE EN ARGONNE, SON HISTOIRE (rév. 1)

Église Saint-Gorgon d'Auzéville, 12e-13e siècles, remaniée aux 18e et 19e siècles
Colombier du 17e siècle (classé ISMH), récemment restauré, et lavoir du 19e siècle
Moulin à tan, puis usine pour la pulvérisation des nodules de phosphate, reconverti en micro centrale électrique

Auzéville (Algeivilla cité en 1069 vient d'un nom d'homme germanique, puis Auxeville en 1394, Ozeuville en 1707, enfin  Auzevilla en 1738), village sur l'Aire à 1,5 km de Vraincourt, a son histoire liée à celle de Clermont. On y a retrouvé les vestiges d'une villa gallo-romaine. Auzéville a été affranchi en 1243 par Thiébaut II, comte de Bar.

Yolande de Flandre (1326-1395)


La comtesse de Bar et dame de Cassel et de Dunkerque en pays de Flandre, Yolande de Flandre (1326-1395), veuve du comte Henri IV de Bar, reçoit le Clermontois en douaire, séjourne au très puissant château de Clermont entourée d’une cour, y bat monnaie (fabriquera même de la fausse monnaie à l'effigie du roi), abrite en 1363 à Auzéville, quartier des affaires à la halle florissante, une banque appelée Table des Lombards (famille "Isnard" originaire d'Asti en Italie), brûle Auzéville dont les villageois se plaignaient de ses exactions, se met à dos l’évêque de Verdun et le roi Charles V de France dont les troupes vont occuper Clermont et son château (1373), fonde la chapelle Saint-Anne (1394) et soutient le Prieuré de Beauchamp (un saint ermite, Oricle, y aurait vécu dès le 5e siècle) par une rente sur ses terres d'Auzéville. Malgré son tempérament colérique, la "virago" crainte par les villageois d'Auzéville, Yolande de Flandre, a été une femme de pouvoir audacieuse et avisée, qui a développé le commerce et l'industrie, amélioré l'administration et les services publics, et soutenu et libéralisé plusieurs établissements religieux dans le Clermontois. Voir d'autres détails de sa vie dans le commentaire no. 6 sur ce message.

 Le village est à nouveau incendié et saccagé en 1365 par une bande armée appelée "Bretons" issue de la Guerre de Cent Ans, et en 1635 par une bande de pillards amenée par la Guerre de Trente Ans et appelée "Croates" ou "Schenapans" (à cause du schnaps qu'ils réclamaient). A ces malheurs s'ajoutèrent la peste qui décima tout le Clermontois de 1632 à 1637, puis beaucoup plus tard en 1849 le choléra qui causa 49 morts à Auzéville. Évidemment, Vraincourt, comme tout le Clermontois, a subi des malheurs identiques.

La halle d'Auzéville reconstruite en 1776 pour abriter les pressoirs banaux, située sur la place au centre du village, a été détruite en 2009 sur une décision malheureuse de la municipalité de Clermont. A chaque époque ses destructeurs!

En 1583, Jacques de La Vallée (de Rarécourt), seigneur de Vraincourt, des Epercheries (contre Rarécourt), de Parois et de Jubainville (Vosges) en partie, obtient l'autorisation du Duc de Lorraine d'élever un colombier seigneurial à Auzéville. Jacques était le frère de Christophe, évêque de Toul. Ce colombier a échappé à la destruction envisagée par la municipalité de Clermont, grâce à une personne privée qui l'a acquis et restauré récemment. Bravo à celle-ci !

Au 18e siècle, le seigneur est le Duc de Lorraine. La paroisse Saint-Gorgon, du nom d'un officier de la garde de l'empereur Dioclétien, qui a été écharpé puis étranglé vers 304 pour avoir refusé de renoncer à sa foi au Christ, dépendait de l'évêque de Verdun. La population était de 110 feux avec ses écarts La Grange-le-Comte et Versailles (soit environ 450 habitants). Les familles "de Villemorien" et "d'Anthouard de Vraincourt" y possédaient des terres aux 18e et 19e siècles. Voilà comment étaient décrites les terres d'Auzéville, comme celles de Vraincourt et Brabant, à la fin du 18e siècle : "l'occupation principale est la culture de leurs vignobles étendus et la seule ressource de leur aisance. A l'égard des terres labourables, elles sont en général de qualité médiocre et de peu de rapport. Les habitants sont en général peu aisés." C'était avant l'emploi des engrais chimiques, des pesticides et des antibiotiques dont la sur-utilisation est décriée aujourd'hui. Privilégions la qualité gustative et biologique des produits avant les rendements et les profits ! Alors qui va replanter des vignes sur les coteaux de l'Aire pour nous produire un petit gris bien de chez nous ?

C'est la patrie de Jean-Baptiste Maugérard (1735-1815), bénédictin, célèbre bibliographe lorrain (monument sur la place du village), et du Chanoine Jean-Baptiste Gillant, curé d'Auzéville de 1876 à 1912, historien argonnais, enterré dans le cimetière contre l'église (tombe visible).

Les anciennes industries étaient une usine de phosphate, une vannerie, des carrières, une fromagerie à la Grange-le-Comte, une scierie-parqueterie qui a cessé ses activités depuis quelques années, laissant des bâtiments délabrés à l'abandon. Auzéville était desservie par une ligne de chemin de fer avec une gare, la branche du Varinot reliant par une voie étroite Bar-le-Duc à Clermont, ouverte en 1887 et fermée en 1936. On en voit encore les traces le long de la D 998. Un panneau à l'entrée d'Auzéville, côté Clermont, indique "Route du Varinot".

Auzéville, comme Jubécourt et Parois, a été fusionnée avec Clermont-en-Argonne en 1972. Devenir une annexe de Clermont n'est peut-être pas avantageux pour ces villages, comme les Vraincourtois le savent depuis plusieurs siècles !

Sources : Clermont-en-Argonne des origines à la Révolution, par François Jannin, 1992. L'Argonne, les cantons de Clermont et Varennes, par Hubert Philippe et autres, 2000. Un coup d'oeil sur le Clermontois d'après un manuscrit de la Bibliothèque de Metz, par M. de Geneste, Lacour Ed. 2005. Archives en ligne et familiales, et autres ouvrages sur l'histoire de Clermont et de l'Argonne.

13 commentaires:

  1. Nous avons habité l'ancien moulin pendant trois ans, jeunes mariés, au premier étage, c'était super,avec vue sur l'Aire côté chambres.
    Concernant l'histoire d'Auzéville, il ne faut oublier la célèbre Yolande, une maîtresse femme.

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  2. Oui, vous avez raison, je vais modifier un peu ce message, en corrigeant certains passages et en ajoutant des données, notamment en parlant de la colérique Yolande de Flandres et de ses méfaits à Auzéville ! Merci. Cordialement

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  3. Bonjour Bruno,
    Vous pouvez même ajouter un article concernant cette "furie", je crois même qu'elle a fabriqué de la fausse monnaie et qu'elle a fait occire quelques enquêteurs.
    Cordialement
    Dommage pour la halle, elle aurait mérité un entretien conservatoire.

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  4. J'ai largement modifié mon message sur l'histoire d'Auzéville en y ajoutant un passage sur notre virago de Yolande Flandres, avec ses exactions et ses réalisations, et d'autres informations sur la vie du village. Bonne lecture !

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  5. Que voilà un complément intéressant, on n'imagine pas que ces petits villages tranquilles ont un passé tumultueux, souvent dramatique, que quelques personnages ont laissé leur empreintes. Cette fameuse Yolande avait des défauts, mais elle avait aussi quelques qualités. Que sait-on de sa vie intime, on peut toujours imaginer...

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  6. Que savons-nous de la vie amoureuse de Yolande de Flandre ? Héritière de Robert de Flandre (possède entre autres, les terres entre Cassel, Dunkerque et Gravelines) et de Jeanne de Bretagne, elle est un "beau parti" ! D’abord fiancée au futur comte de Flandre Louis de Mâle, elle est promise à 11 ans au jeune comte Henri IV de Bar, mariée en 1340, veuve quatre ans plus tard. Elle n'a que 18 ans et est déjà mère de deux enfants : Edouard qui mourra adolescent, et Robert qui deviendra comte de Bar, puis par l'empereur Charles IV de Germanie, marquis de Pont-à-Mousson, et par le roi Charles V de France, duc de Bar, tout en restant comte de Clermont. Elle se remarie avec Philippe de Navarre en 1353, second époux dont elle s'éloigne nettement à partir de 1356 pour des raisons politiques, alors qu'elle n'a que 30 ans. Veuve à nouveau en 1363, Yolande meurt à son tour en 1395. A-t-elle des amants, je ne le sais pas ? Un livre a été écrit sur cette femme hors du commun : Michelle Bubenicek, "Quand les femmes gouvernent. Droit et politique au XIVe siècle : Yolande de Flandre", préface de Michel Parisse. Paris, École des chartes, 2002 (Mémoires et documents de l'École des chartes, 64), 443 p. En ligne sur http://medievales.revues.org/1082.
    Encore quelques anecdotes savoureuses. Elle fait noyer deux chanoines de Verdun dans "la Fosses aux curés" et fait mettre à mort un chevalier français. Elle est excommuniée pour crime de lèse-majesté et fausse monnaie et ne reçoit l’absolution du pape que quelques années après. Elle est faite prisonnière par le roi de France en 1371, mais s’évade l’année suivante. Arrêtée en Flandre, elle est amenée à la Prison du Temple à Paris et ne sera libérée sous conditions qu'après deux ans et demi de prison. Elle fait emprisonner à Clermont le gouverneur de la forteresse de Quemenières, nommé par le roi. Elle fait arrêter à Vincennes son petit-fils Henri, malgré la protection du roi. Etc. !

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  7. Merci Bruno pour ses renseignements concernant la bouillonnante Yolande,c'était une femme de caractère sans aucun doute.

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  8. bonjour,

    le 20 juin 1940, suite à l'évacuation de notre village de Chenières(54)en zone rouge puisque séparé que d'un kilomètre de la ligne Maginot). Ma famille arrive sur Vittel,et là, changement de cap sans doute des autorités allemande sur place , ma famille doit remonter direction Neufchateau, Bar le duc, et au final Auzéville le 27 juin 1940. Ultime étape du voyage traverser la riviere avec les 3 cheveaux et 2 chariots (plus de pont)pour enfin prendre leur quartier dans une maison du village.

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    1. Merci de ce témoignage relatif à votre famille au cours de la dernière guerre. J'apprends ainsi que le pont d'Auzéville a été détruit pendant la guerre, probablement par l'armée française pour empêcher la progression des allemands, comme à Vraincourt et d'autres villages en bordure de l'Aire. Savez-vous dans quelle maison d'Auzéville votre famille s'est réfugiée et a-t-elle gardé des attaches dans ce village ?

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  9. Bonjour,
    Je viens de découvrir votre blog très intéressant.
    Je me permets par la même occasion de venir vous demander si vous auriez des documents, carte postales anciennes etc... concernant la présence des soeurs de la Doctrine Chrétienne à Auzéville . Elles étaient là pour l'école avant 1848 (en 1862 l'impératrice à fait un don pour approprier le local de l'école) jusqu'au moins 1883 date de la nomination d'institutrice laïques; mais en 1884 il y avait encore une soeur directrice de la salle d'asile... Merci beaucoup pour votre aide. Soeur Bernadette
    bernadette.durr(arobase)orange.fr

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  10. Vous en savez plus que moi car la présence des Sœurs de la Doctrine Chrétienne à Auzéville m'était inconnue ! J'ai encore beaucoup d'archives à dépouiller, notamment de nombreux documents disponibles à la Mairie de ce village. Il est probable que l'abbé Gillant, curé d'Auzéville de 1876 à 1912, en parle dans ses écrits sur l'histoire argonnaise. Je vous recontacterai. Merci

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  11. Bonjour,
    Depuis mon dernier message avez vous des découvertes intéressantes, et avez vous rencontrer dans celles ci les soeurs de la Doctrine Chrétienne ? Merci

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  12. Non rien de nouveau car je n'ai pas encore repris mes travaux alimentant ce blog. Mais je ne vous oublie pas ...

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